dimanche 23 mai 2010

L'euro : l'épreuve du feu

J'appelle épreuve du feu ce moment clé où les protagonistes vont connaître succès ou échec. Je pense en premier lieu à l'effondrement de l'armée française en 1940 qui coûta indirectement la vie à 60 millions d'hommes et de femmes dans le monde, et qui pèse encore certainement aujourd'hui sur le moral de notre beau pays. Le feu renforce le métal et consume le bois : il n'a pas de pitié pour la beauté de l'objet, seule compte sa composition moléculaire. Les idées que défendaient la France d'alors étaient belles, mais elles ne pouvaient rien contre la volonté d'une machine d'acier.

L'euro traverse incontestablement son épreuve du feu, 10 ans après sa naissance. La lecture des attendus des traités de Maastricht et de Lisbonne est suffisante pour douter de sa capacité de résistance : Stabilité et croissance, tels étaient les objectifs. Stagnation et instabilité, voici le résultat.

Tout le monde, ou presque, sentait bien que la hausse de l'endettement public touchait à sa fin et qu'une remise en ordre des finances publiques serait bientôt indispensable. Le problème, c'est la méthode : tout miser sur la réduction des salaires de fonctionnaires et la hausse des impôts semble incertain, d'où la déception des marchés financiers. Tous les experts s'accordent à penser que seule la croissance et l'inflation peuvent permettre de rembourser des sur-endettements.

A la guerre, la priorité est finalement donnée à la première ligne au détriment de l'arrière. Pour nous, l'arrière, ce sont les retraités, les épargnants et la consommation. La 1ère ligne les gens qui travaillent, ou qui sont en âge de travailler, et la production. Tant que nous ne décréterons pas la mobilisation générale en Europe pour la croissance par la production et pas seulement par la consommation, qui est une sorte de drogue puisque nous n'avons pas les moyens de la payer autrement que par de l'endettement, nous n'y arriverons pas.

L'aspect positif des choses, c'est que parfois - même vaincu - on peut renaître de l'épreuve du feu. En tout cas, faisant fausse route, tout vaut mieux que le statu quo et c'est ce qui finalement me rend optimiste : il falloir changer en France, soit pour éviter la faillite, soit après la faillite.

dimanche 9 mai 2010

"L'ENGRENAGE Mémoires d'un trader"

J'ai lu d'une traite le livre de Jérôme Kerviel qui vient de sortir.

Bien sûr, la première question qu'on se pose c'est de savoir si son histoire sonne vrai et si sa version des faits est crédible. Il est vrai que c'est un livre écrit par quelqu'un qui va bientôt affronter la justice et cela met forcément le doute. Personnellement, je réponds oui : il y a dans ce livre une profondeur humaine et un niveau de réflexion, une précision de l'histoire et un sens du vécu qui m'a convaincu. Bien sûr, on peut regretter qu'il ne détaille pas plus les derniers mois fatals qui lui on vu prendre des risques exponentiels.

Le procès public permettra à la Société Générale de préciser sa version des faits, et à nous de vérifier s'il masque des éléments critiques, mais je serais étonné qu'ils puissent continuer à prétendre que l'ensemble de la hiérarchie a été trompée par un génial manipulateur et fraudeur comme ils l'affirment.

Cependant, au vu de l'histoire racontée, on comprend que la banque se soit sentie obligée de présenter cette version tellement les faits semblent accablants pour elle. Il y a une telle absence de réaction à l'augmentation vertigineuse des risques pris que je me demande dans quelle mesure on ne pourrait pas inventer la notion de "non-assistance à trader en danger"

Il faut lire ce livre qui contient plusieurs morceaux de bravoure dont le plus savoureux est sans doute la longue description de la "découverte" des faits par la plus haute hiérarchie de la banque, d'abord incrédule à l'idée d'un gain de 1,5 milliards d'€ sur 2007, puis convaincu et prête à se jeter dessus pour compenser les pertes sur les sub-prime, mais quelques minutes plus tard enfin lucide et se disant que les choses ont pu mal évoluer sur 2008 avec la question du "big boss" qui tue : "et sur début 2008, Jérôme, tu n'as pas pris trop de risque ?".

Parmi les quelques infos intéressantes : la réaction du back-office et du contrôle financier qui découvrant que la contrepartie "Baader" ne confirme pas (et pour cause), lui demandent de modifier la saisie en intitulant "contrepartie à confirmer"

On apprend aussi que le prix du silence est estimé par la banque à 700 000 € (cf copie des transactions de départ de ses 2 boss). Ce qui prouve soi dit en passant qu'il a quelques alliés au sein de la DRH de la banque !

Enfin, "last but not least", les conditions du dé-bouclage des positions, avec un trader ignorant ce qu'il fait au milieu de la salle de marché, un jour où Wall Street était fermé. Ce qui fait douter que les traders de la banque n'en aient pas profité pour cacher quelques noisettes (leur expression pour dire planquer des profits), surtout quand on a lu la pratique du fameux "mur de Chine" qui s'apparente à une vaste fumisterie.

Edifiant.

NB : j'ai lu le commentaire dans les Echos de Guillaume Maujean qui le qualifie de livre sans révélation. Peut-être dans la mesure où Jérôme Kerviel ne fait que réaffirmer sa thèse selon laquelle la banque ne pouvait pas ignorer ses positions, néanmoins je trouve que c'est assez percutant et ce sera au cœur du procès certainement.