dimanche 9 mai 2010

"L'ENGRENAGE Mémoires d'un trader"

J'ai lu d'une traite le livre de Jérôme Kerviel qui vient de sortir.

Bien sûr, la première question qu'on se pose c'est de savoir si son histoire sonne vrai et si sa version des faits est crédible. Il est vrai que c'est un livre écrit par quelqu'un qui va bientôt affronter la justice et cela met forcément le doute. Personnellement, je réponds oui : il y a dans ce livre une profondeur humaine et un niveau de réflexion, une précision de l'histoire et un sens du vécu qui m'a convaincu. Bien sûr, on peut regretter qu'il ne détaille pas plus les derniers mois fatals qui lui on vu prendre des risques exponentiels.

Le procès public permettra à la Société Générale de préciser sa version des faits, et à nous de vérifier s'il masque des éléments critiques, mais je serais étonné qu'ils puissent continuer à prétendre que l'ensemble de la hiérarchie a été trompée par un génial manipulateur et fraudeur comme ils l'affirment.

Cependant, au vu de l'histoire racontée, on comprend que la banque se soit sentie obligée de présenter cette version tellement les faits semblent accablants pour elle. Il y a une telle absence de réaction à l'augmentation vertigineuse des risques pris que je me demande dans quelle mesure on ne pourrait pas inventer la notion de "non-assistance à trader en danger"

Il faut lire ce livre qui contient plusieurs morceaux de bravoure dont le plus savoureux est sans doute la longue description de la "découverte" des faits par la plus haute hiérarchie de la banque, d'abord incrédule à l'idée d'un gain de 1,5 milliards d'€ sur 2007, puis convaincu et prête à se jeter dessus pour compenser les pertes sur les sub-prime, mais quelques minutes plus tard enfin lucide et se disant que les choses ont pu mal évoluer sur 2008 avec la question du "big boss" qui tue : "et sur début 2008, Jérôme, tu n'as pas pris trop de risque ?".

Parmi les quelques infos intéressantes : la réaction du back-office et du contrôle financier qui découvrant que la contrepartie "Baader" ne confirme pas (et pour cause), lui demandent de modifier la saisie en intitulant "contrepartie à confirmer"

On apprend aussi que le prix du silence est estimé par la banque à 700 000 € (cf copie des transactions de départ de ses 2 boss). Ce qui prouve soi dit en passant qu'il a quelques alliés au sein de la DRH de la banque !

Enfin, "last but not least", les conditions du dé-bouclage des positions, avec un trader ignorant ce qu'il fait au milieu de la salle de marché, un jour où Wall Street était fermé. Ce qui fait douter que les traders de la banque n'en aient pas profité pour cacher quelques noisettes (leur expression pour dire planquer des profits), surtout quand on a lu la pratique du fameux "mur de Chine" qui s'apparente à une vaste fumisterie.

Edifiant.

NB : j'ai lu le commentaire dans les Echos de Guillaume Maujean qui le qualifie de livre sans révélation. Peut-être dans la mesure où Jérôme Kerviel ne fait que réaffirmer sa thèse selon laquelle la banque ne pouvait pas ignorer ses positions, néanmoins je trouve que c'est assez percutant et ce sera au cœur du procès certainement.